Le Filateur littéraire, la Fausse lettre, le Feu de bois sec, la Fable en prose aïl-teck
Une enquête de Laurent Desvoux-D’Yrek qui lorsqu’il était jeune voulait être « Filateur littéraire » et occasion à iceluy donnée de vivre ce voeu de jeunesse par un dimanche matin de mai Vingt Vingt à réception matinale d’un texte diffusé récemment ainsi en maints endroits numériques avec ces vingt-deux termes d’accroche: « En des circonstances similaires à ce que nous vivons, voici ce que Madame de Sévignéécrivait à sa fille Madame de Grignan », puis la ditelettre attribuée à la grande épistolière, écrite à la va-vite, - par qui et au fond qu’importe ? - propagée comme « feu de bois sec » sur la Toile.
Bonjour chers lecteurs-auteurs-documentalistes d’aujourd’hui et de demain ! voici quelques éléments de mon enquête concernant un texte - que j’ai vu afficher en articles sur maints sites d’Internet, relayé dans les courriels, car maints sites proposent depuis plusieurs semaines du confinement en cours, le géant confinement à nos réduits, des bibliographies de livres du passé nous aidant à vivre ce temps propice à rendre visite à des auteurs, connus, méconnus ou inconnus. Ainsi, rapidement, Les Pensées de Pascal furent réquisitionnées pour rappel contre le sempiternel « divertissement » qu’est notre vie avec notre malheur de ne savoir pas rester dans notre chambre. Le Voyage autour de ma chambre fut cité aussi abondamment pour son titre et son principe actif malgré tout. C’est un vrai bonheur de lecture et de réflexion que de lire ses chapitres d’une quarantaine italienne à la fin du 18e siècle, d’un jeune Comte instruit aux arts et aux lettres, qui fait de sa contrainte un lieu pour inventer, expérimenter, avant adoption éventuelle par les lecteurs et avant la reprise de ses « affaires » sérieuses dans le monde d’après, un Xavier de Maistre, qui disparaît et apparaît pour nous finalement - en passant la porte. Bonheur aussi de relire la fable de La Fontaine, « Les Animaux malades de la Peste » et de ce qui arriva à l’âne qui avait concédé avoir brouté un petit carré d’herbe – à me ressouvenir d’un René Girard dont le regretté Roland F. venait nous parler, avec gâteau et guitare, des heures durant dans la vieille maison. Et le livreLa Peste de Camus, que je n’ai pas relu ni lu, même après la tentation récente après une invitation aux téléspectateurs de « La Grande Librairie » de s’associer à une lecture collective des aventures sanitaires et humaines du docteur Rieux, sinon par extraits et sourit en moi cependant la moquerie vis-à-vis de l’écrivain Grand, écrivain-personnage qui écrit et réécrit sempiternellement la première phrase de son roman, sans pouvoir aller outre ! – que je n’ai lu peut-être de savoir depuis toujours que ma grand-mère Léa - la sœur de la délicieuse Denise vue des années aux réunions de famille à Saint-Denis chez Denise et René ! - était morte de cette peste dans la ville même d’Oran en 1942…
Et quels riches moments de culture que nous apportent depuis nombre d’années des émissions établissant un pont entre les périodes, de « Concordance des temps » de Jean-Noël Jeanneney à la radio – depuis 1999 !, à celles en divers médias de Xavier Mauduit ou Thomas Snegaroff, et dans ma jeunesse, encore, les jours et années avec « Histoire parallèle » de Marc Ferro qui entre 1989 au début du XXIe siècle, invita des personnalités de l’Histoire et de la Culture pour commenter des actualités… d’un demi-siècle auparavant !
Alors, quand cette lettre de Mme de Sévigné est arrivée, à ma connaissance ce matin vers neuf heures et pour d’autres depuis plusieurs jours, ce fut comme une pièce littéraire à ajouter à ce qui peut nous réconforter à venir du fin fond et fonds de l’Histoire et de l’Histoire des Lettres, et cette lettre sait trouver en nous les éléments d’évidence, de connaissance que notre culture générale peut conserver du siècle de Molière et du Roi Soleil, - son conseiller Mazarin qui servit aussi Louis XIII, le nom familier de Vatel, célèbre cuisinier, seul nom du siècle en question passé jusqu’aux replis de nos mémoires, qui illustra l’art culinaire jusque dans sa perfection et de penser faire vivre une imperfection lors d’un repas au roi lui fit quitter ses tables et la vie – oh la performance d’acteur de Gérard Depardieu dans le film éponyme -, l’évocation de Versailles, château, galerie ou jardins, des amis des Lettres françaises Madame de Lafayette et La Fontaine, avec son fameux long poème cité et re-cité, les amis proches comme elle du Fouquet libéral en son château de Vaux-Le-Vicomte, dont les carpes, si elles parlaient, pourraient nous en conter ! Et dans le parallèle, la concordance, la proposition des masques, le fait que le roi et son principal demandent de rester chez soi…
Alors tout cela me semblait non pas trop beau, mais à coïncider trop exactement avec tous les éléments attendus d’une concordance idéale, à flatter d’abord en nous, notre culture d’honnête homme ou femme du XXIe siècle, mais justement, le fait que cela correspond trop aux attendus a fait naître en moi une gêne et sa suite le doute sur l’authenticité de ce texte. Il se trouve qu’hier même sur le site Gallica, ouvrant au monde des curieux et des passionnés les archives lettrées, trésors offerts et partagés, j’ai parcouru avec grand plaisir Le Voyage autour de ma chambre, afin d’aller plus loin que le titre battu et rebattu, et j’ai puisé nombre de quadrisyllabes pour compléter des vers de prose de mon « Journalex des confins », tenu depuis début avril.
Ce qui me marque en effet à chaque fois quand je me plonge dans une œuvre d’envergure d’un auteur des anciens siècles et même des siècles classiques, c’est la somme des données qu’on peut y rencontrer et qui apportent comme une opacité, une étrangeté, un aspect estrambotique, qui pourrait nous jeter dans plusieurs dictionnaires, manuels et encyclopédies si l’on voulait en saisir tout le feuilleté des évocations. Et j’étais servi avec le texte de Xavier de Maistre, sur la version de vieux livre françois « imprimé de la rue du bacq » de la Bibliothèque de France, de détails d’orthographe : je m’aperçois que « j’apperçois » y prend à chaque fois un doublement de p à des éléments foisonnants du vocabulaire aux personnages des tableaux commentés par un jeune homme cultivé, sachant profiter du lieu de quarantaine pour en explorer et quasiment épuiser toutes les ressources d’évasion par descriptions et imagination… Quelques années plus tôt j’avais fait la rencontre de chair, de page et de peau du premier texte composé en alexandrins dans notre langue et je découvris tout un monde, alors que Le Roman d’Alexandre est réduit dans les études littéraires à l’énoncé en six syllabes de son « titre » de gloire d’ouvrir la série des poèmes et pièces avec notre grand vers. Or le texte, celui qui est présenté comme étant de Madame de Sévigné, est maigrelet, étique, une peau de chagrin, un espace de texte où l’on ne voit que du connu, sans aucune épaisseur, qui soit rêche ou piquant pour notre savoir généraliste… C’est cela qui m’a gêné, trop de conformitéà notre désir et à nos attentes et s’y calquant. Nicole qui m’avait envoyé le texte en relais, - je l’avais remerciée peu de jours auparavant de ses nombreux textes utiles qu’elle relayait en cette période de confinement, à qualité de littérature ou de points de vue sur notre époque – et une confiance s’était installée, allait peut-être endormir mon esprit critique – demande, quand je lui fais part de mon doute et de mes premières découvertes : Vatel mort seize ans avant son retour de service ! Et ce jeudi 30 avril 1687 qui n’a jamais existé– on peut consulter aisément tous les calendriers de notre longue Histoire (avec la conscience que les auteurs aussi peuvent commettre des erreurs dans ces notations de dates ou s’ils n’entendent faire sens par ces décalages temporels) ! Je puis ajouter, comme vous, en ouvrant un dictionnaire que Mazarin mort depuis vingt-six ans aurait eu du mal à organiser quoi que ce soit pour la gestion de la Peste gagnant les rues de Paris ! Et les villes concernées au début des XVIIe et XVIIIe siècles par la Peste étaient essentiellement des villes au sud de la France, Le Hussard sur le toit de Jean Giono contant avec effroi et netteté les ravages en Provence par le choléra, autre terrible épidémie au début du XIXe. Il m’a suffi de relire la Madame de Sévigné de mes lectures de manuels scolaires pour retrouver la saveur littéraire et familière, l’extraordinaire style de la Dame de Lettres, avec force détails qui sont comme des punctums qu’envoie le réel sur nos consciences de lecteurs à des siècles de distance. Je prends le mot « punctum » chez Roland Barthes, avec son ultime Chambre Claire, distinguant le Studium thème général traité par une photographie et le Punctum, le point, point d’une réalité qui détourne du Studium et accroche cependant le regard…
Vous comprendrez davantage ce que je veux vous faire ressentir en lisant la lettre davantage « relation » selon elle-même de qui arriva à Vatel à Vaux-le-Vicomte, à la réception du Roi par le Prince de Condé au château de Chantilly. Cela fourmille de noms non passés à postérité de Moreuil à Gourville et d’évocations précises les « charges des marées », le « lieu tapissé de jonquilles », le « petit pourvoyeur » et même ce château de Chantilly : mon esprit avait remplacé ce nom par celui de Vaux-Le-Vicomte…, un demi cultivé d’Histoire comme moi va jusqu’àêtre familiarisé pour sa connaissance du grand siècle des châteaux de Fouquet et de Louis XIV – ah les préfaces des recueils de fables de La Fontaine, ah le feuilleton de mon enfance tourné pour partie à Vincennes où mon père François D. incarnait Louis XVI, revu récemment pour une image à Varennes dans un documentaire rediffusé de Ferrand l’historien consacréà Nostradamus, ah le téléfilm Le Roi, l’Ecureuil et la Couleuvre, réalisé par Laurent avec les acteurs Thierry et Lorànt et renvoie Chantilly à des promenades de Nerval au 19e siècle… et de constructions syntaxiques qui sortent du cadre des recommandations de Boileau ou de Vaugelas « Il ne savait pas que Vatel avait envoyéà tous les ports de mer. » ou de ce que je peux en percevoir. Et j’y vois ou entends davantage la vivacité des répliques sur scène d’un Molière qui sait nous parler à nous, encore à nous de notre siècle présent. Donc, pardon, Nicole demande en retour de ma lettre matinale, si l’on a alors affaire à un pastiche ou « une fake news. Par les temps qui courent ». Alors « infox » ? « pastiche » ?
Je penche pour un « pastiche », peut-être objet d’un exercice d’atelier d’écriture, un « exercice de style », rapidement exécuté (pas assez documenté dans les recherches sur l’époque et sa réalisation pour résister longtemps à une analyse en authenticité) un travail en téléenseignement auprès de lycéens ou d’étudiants, à distance donc par temps de confinement, et transformé– par son auteur ? par son commanditaire ? « à l’insu du plein gré » de son auteur même ? en « infox » dont l’objectif serait de tester « à grande échelle » les capacités ou volontés de vérification de faits et de textes des internautes, des citoyens, de tous les citoyens, experts et non experts, dont la garde ne doit pas baisser, dont la rigueur ne doit pas abdiquer face aux informations reçues à foison, chacun, comme citoyen informé, doit mener une pratique je dirai de documentaliste, un des rôles pivots de nos temps de mondialisation, à l’égard des textes à lire, avant tout relai. La vérification des éléments de base ne requiert pas à chaque fois une expertise d’Historien spécialiste de Lettres des siècles concernés. La preuve avec les mots attribués à Madame de S. Hier même, je recevais, d’une collégienne du XXe siècle, du collège La Fontaine, mon collège des années 70, deux fichiers, l’un par rapport une information sanitaire, l’autre rappelant « les trois tamis » socratiques de la vérité, de la bonté et de l’utilité, à contrer la diffusion des rumeurs ou des infox, ces animaux numériques ne sont-ils pas les plus rapides du monde, davantage qu’écureuils, couleuvres, lions, guépards, panthères, aigles, vautours, autours et dauphins (et les chauves-souris, ajouté-je alors que je viens de fermer un volet nocturne et d’en apercevoir, et que ces animaux sont une catégorie des animaux transmetteurs de fatals virus !) ?
Et je penche je parie d’autant plus pour un pastiche à virer infox, dans le meilleur des cas, infox test, que sur un réseau social à la lettre F comme ma présente Fable, récemment, un poète et essayiste que j’estime a été victime d’une création de personnage de papier que son auteur faisait passer pour réelle et dont la mort par le covid-19 lui a causé une peine, il en a témoigné, puis une colère, il en a témoigné aussi, affecté, remonté d’apprendre que cette personne ni vivante ni morte n’était guère qu’un masque fictif et de s’être fait berner et quand, sur le même réseau, un écrivain a fait circuler une vidéo d’un ami à lui avec une chanson composée juste avant sa disparition du même covid-19, et cet ami finalement ne sera qu’une création de cet écrivain pestant contre ceux qui ne vont pas jusqu’àécouter jusqu’au terme les vidéos avant de relayer, commenter, participer au grand jeu des remuements de l’actualité, de façon moutonnière. Je n’ai guère réagi lors de ces deux épisodes récents car si je comprenais la démarche des testeurs numériques désabusés et voulant désabuser autrui, je n’en trouvais pas le procédé sympathique, ni affable. Mais un rappel de piqure comme dans ce film de Verneuil – dans ma mémoire je l’avais attribuéà Costa-Gavras ! - avec Yves Montand dont il est proposé au personnage de visualiser une expérience psychologique alors qu’il en est aussi sujet et objet, d’un test pour tester nos capacités à résister à devenir nous mêmes des bourreaux ou leurs associés passifs.
Et j’ai penséà la possibilité d’un pastiche, d’autant plus que j’ai composé un ensemble « L’Espace en nos hublots » avec une bibliographie pour passer ce temps de confinement avec des livres sur l’Espace, vaste ou réduit, des œuvres qui me marquèrent (j’entends sur France-télévision ce soir de trois quarts lune Cyrano masqué, costumé pour passer le temps du gêneur De Guiche – le temps qu’une cérémonie de mariage s’accomplisse – énoncer six moyens plus un de s’envoler vers l’Espace et l’écho aux sept points de conseils d’un spationaute émérite pour le confinement et les sept planètes que visita le Petit Prince…), bibliographie enrichie par des amis et collègues, liste de « conseils de lectures » - qui n’y pourrait participer au moins pour un titre ? - complétée par des « idées d’écriture » : les personnages de ces œuvres reviennent dans le Paris d’aujourd’hui et font part de leur étonnement, de leurs découvertes, de leurs rencontres dans un espace comme désinvesti des confinés… et j’exprime le désir, de plus en plus conscientisé, en lisant et en écrivant, de recevoir des récits de fantaisie où l’amusement, le saut de l’imagination, les pirouettes de l’invention, du choc amusé au choc de l’humour, de l’absurde, des possibles impossibles où les pastiches soient assumés et dépassés, où le lecteur n’est pas piégé, manipulé, moqué, trahi dans sa confiance, testé dans sa capacitéà refuser le message qu’il reçoit, pour une leçon sèchement livrée, avec des faussetés transmises, véhiculées, révélées en tant que simulacres, éclairées avec des torches saisissantes au prix de victimes, autant les dupes que les dupés, les donneurs de leçons en deux temps, les preneurs de leçons qui prennent un coup à l’ego de leur lucidité, de leur vigilance, de leur attention et de l’exercice de leur intelligence critique, prise à défaut aux yeux du monde, la communication virale d’un feu dans le bois sec sec sec et c’est Notre-Dame qui brûle par sa charpente et c’est la planète aux feux du réchauffement climatique et de l’exploitation des ressources des sous-sols et des forêts, tous ces poumons du monde à suffoquer… - mais, dans un jeu à trois et davantage, qui ne soit la solitude de l’écriture, la plume sous la lampe, qui ne soit la solitude de la lecture, les lunettes sous la lampe, un lecteur, un lecteur camarade, un lecteur aussi de ce qui fut et qui devient auteur en entrant dans la danse des mots et évocations un lecteur qui fasse partie de la « partie littéraire », du cercle des poètes ou du carré des écrivains, avec les connivences partagées, les clins d’œil par des anachronismes cocasses et des références touzazimuts, dans les traits d’un Uderzo ou les phylactères d’un Goscinny pour établir un parallélisme des époques gallo-romaines et pompido-degaulliennes qui fasse sourire et réfléchir - dans un jeu qui associe lecture et écriture, jeux de mots, d’expressions, des langues et des histoires se croisant ou se télescopant, souvenirs littéraires englobant aussi les BD et les films, et projections fantastiques et souriantes, satiriques et humoristiques.
« Je suis mon cher ami très heureux de te voir » et de formuler pour toi, pour moi, pour nous, ou du moins d’en faire tentative, mon projet venu au fil de ces mots nés d’une sensation au contact d’un texte reçu ce matin. Mon but n’est pas tant de résoudre l’enquête à la manière d’un roman policier où le policier serait aussi juge d’un auteur de forfait que de me saisir au long de ce long jour printanier, de cet apologue à se construire selon les trois règles classiques, du lieu imparti, du temps défini, le jour bornoyé, la durée d’un seul jour, d’une journée, un laps ! et de l’action, d’une définition de ce que je cherche à partager dans mes vers et mes phrases, dans mes propositions de pages et de jeux aux enjeux qui ne soient ni plombant ni surplombant, mais qui ont quand même àêtre considérés avec quelque attention, sans que la fantaisie du ton ou des expressions ne soit prétexte à leur dénuer tout intérêt, avec un oui c’est sympa ce que vous faites mais bon, il y a des choses plus sérieuses à considérer. « Comment pouvez-vous lire à présent ? il fait nuit ! », vient de demander Roxane dans la petite lucarne qui clignote encore à bientôt minuit et je clos, dernier rideau rouge, cette journée qui commença par la lecture d’un courriel, passa par des recherches sur la Toile, des livres ouverts depuis nos rayons garnissant nos murs, par l’écriture de lettres courriels et arrive à la défense et illustration d’un mode d’écritures oserais-je bienveillantes, lucides et ludiques, s’appuyant sur notre Littérature universelle - notre culture voyageuse d’art en arts, par espaces, temps, langues, civilisations - dans laquelle nos esprits, trouvent évasion, réflexion, pierres verbales, rêves, rêveries, pierreries, ricochets, pensées, forge, offrandes pour faire demain. Et chemin plus loin. Avec déjà le regret des « jouissances imaginaires », et un appel, le « besoin de l’air et du ciel » qu’une « puissance secrette » fait ressentir, à la fin de la quarantaine, la porte s’ouvrant, l’escalier, la rue, les rues du monde…
Cordipoeti et milrécits Laurent Desvoux-D’Yrek entre colline et vallée en milieu urbain, au printemps atteint du cinquième du Vingt-et-unième siècle, le lundi 4 mai 2020, puisque minuit est passé de quelques minutes, puisque minuit est passé d’une heure cinquante-neuf à relectures, compléments et peaufinages. Avant reprises du texte et ajout du titre général, avant 9 heures.
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Merci Nicole ! je viens de passer une heure pour tenter de retrouver ce texte de Madame de Sévigné sur Gallica BNF et autre. Vainement pour le moment et c’est pour moi un dédale encore que le site de la Bibliothèque Nationale, je manque d’exercices numériques. Une note d'un tome de 1687 précise que jusqu'en septembre 1687 l'auteure n'écrit pas à sa fille puisque toutes deux se trouvent à Paris. Ce qui m'intrigue surtout : beaucoup d'éléments rassemblés, concentrés, comme en décalque, en exercice de style de rapprochements avec notre époque en peu de mots et d'éléments de l'époque parmi ceux qui sont passés à la postérité auprès de "l'honnête citoyen du XXIe siècle" : Vatel, Corneille (sa pièce jouée quelques années auparavant ?), la fable citée de La Fontaine...
Sur le Net je ne vois pas de mentions anciennes de ce texte bifocal de deux temps et sur les calendriers de 1687 le jeudi 30 avril n'existe pas ! (il s'agit soit du mercredi 30 avril soit du jeudi premier mai). Mais cela n'est pas décisif, une erreur de datation est toujours possible, soit par l'auteur, soit en retranscription. Peux-tu partir à la chasse à ce texte, peut-être dans un volume en support papier des Lettres de ta bibliothèque ? en tant que "filateur littéraire", c'est le premier métier que j'envisageai, vers... 1987 et la filature je sais que tu t'y intéresses en tisserande de nos Lettres vives !
Cordipop et arti Laurent Desvoux-D'Yrek ce dimanche 3 mai 2020 au matin.
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Ah ce Vatel et ces charges de marée, c’est terrible, Nicole, et je viens d’ouïr un fatal alexandrin : « je sais que le rôti a manquéà deux tables ». 11h08 puis 11h16 : je viens de regarder les dates de vie et mort du grand cuisinier royal Vatel… disparu en avril 1671… de la manière que l’on sait, contée on pourrait dire, par le menu, par une fameuse épistolière, Madame de Sévigné ! :
De Mme de Sévignéà Mme de Grignan. « À Paris, dimanche 26 avril 167I.Il est dimanche 26 avril ; cette lettre ne partira que mercredi ; mais ce n’est pas une lettre, c’est une relation que Moreuil vient de me faire, à votre intention, de ce qui s’est passéà Chantilly touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu’il s’était poignardé ; voici l’affaire en détail : Le roi arriva le jeudi au soir ; la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa, il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners à quoi l’on ne s’était point attendu ; cela saisit Vatel, il dit plusieurs fois : Je suis perdu d’honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas. Il dit à Gourville : La tête me tourne, il y a douze nuits que je n’ai dormi ; aidez-moi à donner des ordres. Gourville le soulagea en ce qu’il put. Le rôti qui avait manqué, non pas à la table du roi, mais aux vingt-cinquièmes, lui revenait toujours à l’esprit. Gourville le dit à M. le Prince. M. le Prince alla jusque dans la chambre de Vatel, et lui dit : « Vatel, tout va bien ; rien n’était si beau que le souper du roi. » Il répondit : « Monseigneur, votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manquéà deux tables. »« Point du tout, dit M. le Prince ; ne vous fâchez point : tout va bien. » Minuit vint, le feu d’artifice ne réussit pas, il fut couvert d’un nuage ; il coûtait seize mille francs. À quatre heures du matin, Vatel s’en va partout, il trouve tout endormi, il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seulement deux charges de marée ; il lui demande : Est-ce là tout ? Oui, monsieur. Il ne savait pas que Vatel avait envoyéà tous les ports de mer. Vatel attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne vinrent point ; sa tête s’échauffait, il crut qu’il n’aurait point d’autre marée ; il trouva Gourville, il lui dit : Monsieur, je ne survivrai pointa cet affront-ci. Gourville se moqua de lui.;…»
Lettres choisies Texte établi par Suard, Firmin Didot, 1846 (p. 120-122). Wikisource.
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« Jeudi, le 30ème d'avril de 1687
"Surtout, ma chère enfant, ne venez point à Paris ! Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous dans nos appartements.
Monsieur Vatel, qui reçoit ses charges de marée, pourvoie à nos repas qu'il nous fait livrer, Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une comédie de Monsieur Corneille "Le Menteur", dont on dit le plus grand bien. Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues à la Cour, ni les dernières tenues à la mode. Heureusement, je vois discrètement ma chère amie, Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous régalons avec les Fables de Monsieur de La Fontaine, dont celle, très à propos, « Les animaux malades de la peste » ! « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés»". Je vous envoie deux drôles de masques ; c’est la grand'mode. tout le monde en porte à Versailles. C’est un joli air de propreté, qui empêche de se contaminer, Je vous embrasse, ma bonne, ainsi que Pauline. »
Lettre de fantaisie qui s’est propagée comme « feu de bois sec » sur les réseaux et les blogs, présentée comme une véritable lettre de la grande épistolière Madame de Sévigné. Or moi qui apprécie la fantaisie, je trouvais que cette lettre en manquait, soit de la part de la maman de Madame de Grignan dont le style est plus nourri de mille détails, soit de la part de l’auteur de ce pastiche, assez plat, manquant de sel et poivre, peut-être parce que j’aime bien la folie et l’humour, difficilement possibles finalement dans un pastiche. La fantaisie y serait peut-être dans l’évocation en abîme de la pièce « Le Menteur », jouée quarante années plus tôt. Mon « enquête littéraire » est passée d’abord par la recherche d’une éventuelle locution pittoresque « comme un feu de bois sec » et je suis arrivé dans un poème de « Cochonfucius », poète contemporain très artiste et « un grand roman inédit » Les erreurs de M. Rosic, policier, récit feuilletonnesque de Rodolophe Bringer : 1erépisode L’héritage sanglant « Un homme s’approcha vêtu de bleu sombre et portant une casquette verdâtre oùétait brodé le cor de chasse ; c’était un grand diable, sec et basané, porteur d’une petite barbe courte, grisonnante, et dont les yeux, sous les arcades sourcilières profondes comme un feu de bois sec : - Brogadier forestier Favenot !... fit-il en portant la main à son képi. » La vie littéraire et artistique mardi 29 mars 1927. Ne m’égarais-je pas ainsi dans ces pages de la grande forêt des arbres-textes de la grande Toile des mots du monde, des vifs et morts du monde…
Bon bon bond tout cela ne dit pas - et est-ce l’essentiel de trouver le baudet, le baudet c’est chacun de nous prompt à suivre à prendre feu et flamme pour la dernière info qui séduit d’une matière ou d’une outre - qui sortira du bois sec sec sec d’avoir écrit cette fausse lettre fausse fausse fausse diffusée sans vérification et le Filateur littéraire va faire une pause déjeuner, sachant que filer les mots du vrai n’est point chose aisée et que démêler le vrai du faux, le ludique de la falsification, le mensonge de la fiction, la fantaisie de bon aloi de la supercherie anodine ou toxique, l’usurpation d’identité des récits qui nous fondent, fait rencontrer bien des embarras de Paris et des routes de France et du monde, bien des embûches, des bûches, des trappes, des chausse-trapes, des erreurs, des approximations, des relais trop rapides qui courent la poste et bien plus vite que la poste… ; nous allons nous faire livrer, depuis la rue Watel Watel Watel à L’Haÿ-les-Roses, près de la Roseraie, une Soupe de Poissons rouges et une Omelette au sucre, apportées par la petite entreprise Les Jean-Quelque-Chose, mais bon c’est déjà d’autres histoires.
Photo L3D56 du 9 novembre 2019 sur le Pont Mirabeau.
Cordipop artisti et milrécits Laurent Desvoux-D’Yrek ce dimanche 3 mai 2020, autour de midi, à L’Haÿ-les-Roses en bord de Bièvre, rivière confinée qui s’en va vers la Seine, qui s’en va vers la mer aux marées…
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